Les rapprochements entre la crise du Covid-19 et la transition écologique sont nombreux. La crise touche toutes les catégories sociales, et partout aussi la société se réorganise. La prise de conscience qu’un monde différent est possible se diffuse, donnant l’espoir qu’une société responsable puisse se construire.
Il est sans doute encore tôt pour parler de l’organisation de demain, car des blessures apparaissent dans la société, se creusant au fil du confinement qui nous est imposé. Les soigner prendra du temps, et pourtant c’est dès maintenant qu’il faut prendre la balle au bond, et embrayer vers un système résilient et économe.
Baisse de la pollution : posons-nous les bonnes questions
L’émerveillement devant les cours d’eau retrouvant la clarté, les montagnes lointaines à nouveau visibles ou le chant des oiseaux qui n’est plus couvert par le vacarme incessant des véhicules, révèle un contraste saisissant avec ce qu’on appelle maintenant parfois « le monde d’avant ».
Cette joie et ce bien-être provoqués par ces visions sont importantes car elles donnent de l’espoir, et nous font poser la question suivante : est-ce que je préfère un monde libéral extrême où tout est permis en matière écologique et sociale, ce qui nous poussera sans doute à notre perte ? Ou un monde avec des contraintes et des limites qui permettent de sauvegarder un environnement de qualité ?
Cependant, il ne faut pas se leurrer. Une grande partie des activités polluante est encore en cours, et la baisse de la pollution concernera une partie de l’humanité sur une période relativement courte. Ce n’est pas cela qui sauvera nos écosystèmes de l’extinction massive dont ils sont victimes, et notre humanité du réchauffement climatique en cours.
Un changement radical du fonctionnement de la société est donc indispensable. Et l’expérience que nous vivons actuellement est une réelle opportunité de franchir une étape vers ce modèle.
Résilience de la société
Cette crise est révélatrice d’une formidable capacité d’adaptation de la société. Lorsqu’un peuple est globalement d’accord sur un problème à combattre ensemble de toute urgence, alors des mesures fortes et impactant nos libertés peuvent être prises par un gouvernement, et surtout paraissent acceptables pour la population.
Cet exemple est d’autant plus marquant qu’il n’est pas propre à un contexte particulier. A l’heure actuelle, près de la moitié de l’humanité est confinée, et l’organisation du quotidien s’est partout rapidement transformée. De la fabrication de masques artisanaux à la livraison de paniers de légumes à domicile, en passant par le télétravail et les apéro-voisins, nous avons rapidement trouvé de nouvelles façons de répondre à nos besoins essentiels.
Le terme de « répétition générale » semble alors approprié. Et pourtant, il faut absolument rester lucides. La situation n’est absolument pas comparable, et surtout pas aussi préoccupante que les conséquences écologiques des activités humaines au devant desquelles nous allons.
Le Covid-19 ne provoque ni pénurie alimentaire, ni pénurie d’énergie, ni une pollution majeure, ni des déplacements de population forcés, etc… mais la capacité de réaction et d’adaptation qu’il demande nous permet d’expérimenter un changement radical et rapide de nos actions et activités quotidiennes. Il nous faut le vivre comme un exercice, un test, une expérience grandeur nature.
Si cette épidémie nous impose une grande réactivité, le réchauffement climatique et la crise écologique sont des processus plus lents, plus diffus, beaucoup moins visibles en apparence. Et surtout, les crises majeures qu’ils provoquent impactent pour l’instant principalement les populations vulnérables. Au final, les grandes puissances mondiales s’en dédouanent assez facilement. Et pourtant, ces crises nous imposent également de gros changements dans nos modes de vie. Utilisons cette expérience du Covid-19 pour démontrer qu’une transition rapide et efficace est possible.
Une nouvelle détresse mondiale ?
Seulement 5% de la population mondiale a déjà pris l’avion (source WWF). Nous – le monde occidental – sommes donc responsable de la diffusion ultra rapide du Covid-19 à travers le monde. Maintenant que le virus est présent un peu partout, il pourra facilement se nicher dans tous les endroits pauvres et surpeuplés, où les habitants n’ont d’autre choix que de sortir quotidiennement pour se procurer de quoi survivre, et où les services de santé ne sont pas à la hauteur des besoins grandissant.
Profitons de cette prise de hauteur pour questionner notre émoi. Car être au cœur d’une telle crise nous donne l’impression qu’une détresse mondiale s’installe. Alors qu’une crise sanitaire mondiale est déjà présente, touchant une grande partie de la population par des problèmes d’accès à l’alimentation, à l’eau potable, de sécheresses, d’inondations et autres guerres. Ces problèmes font extrêmement plus de victimes que l’épidémie du Covid-19, et pourtant cela n’ébranle pas l’économie mondiale, et ne nous incite pas non plus à agir.
Puisque nous sommes les responsables du réchauffement climatique, de la diffusion du Covid-19 et de nombreux autres problèmes, revenons à notre cas d’occidentaux consommateurs compulsifs.
Questionner le caractère utile/essentiel de nos activités
Pour simplifier, le confinement que nous subissons crée un fonctionnement à deux vitesses : ceux qui travaillent double, et ceux qui ne travaillent plus du tout.
Il dévoile alors une manne de temps disponible. Celui du temps passé à travailler pour des besoins qui ne sont pas essentiel, que nous pourrions utiliser à meilleur escient. Il faut cependant rester très prudent avec cette notion, car chacun fait de son mieux, cela va de soi. Mais nombreuses de nos activités sont « hors sol », déconnectées du besoin d’être utile à la communauté.
C’est un exercice de discernement délicat qui permet d’entrevoir toute une partie du monde d’aujourd’hui qui revêt d’une nécessité relative : les voyages en avion, les croisières, les parcs d’attraction, les stations de ski, les centres commerciaux, le tout électronique, les restaurants, les boites de nuits, les bars… on pourrait aller loin dans cette liste des besoins qui ne sont pas « essentiels », et pourtant, il y a bien une limite, c’est la limite culturelle.
Les humains ont dans leur ADN l’échange, le partage, la parole, la négociation. Ils ont besoin de loisirs pour se sentir bien, et il serait indécent d’imaginer d’en priver la population. Il est impensable et serait immoral d’empêcher d’aller boire un verre, d’aller au restaurant, de partir en vacances. Alors comment faire, sur quels fondements se baser pour caractériser et choisir les activités plus ou moins nocives pour notre environnement et notre santé ?
Les limites à ne pas dépasser
Il s‘agit de seuils à ne pas dépasser. Ces seuils concernent l’humanité toute entière, sont bien connus et correspondent aux actions que nous avons sur notre environnement : réchauffement climatique, extraction et utilisation d’énergie fossile, extinction de la biodiversité, etc… auxquels on peut ajouter un petit nouveau : épidémies mondiales, par la déforestation et l’empiètement sur le reste du monde vivant. Car c’est bien de cela dont il s’agit. A force de détruire l’habitat des autres êtres vivant sur la planète, et de s’installer sur leurs lieux de vie, l’humain provoque des rapprochements accentuant le risque de transmissions hasardeuses.
Ces seuils donnent des valeurs : la quantité de gaz à effet de serre à ne pas dépasser, la quantité de ressources disponibles dans tous les domaines : l’énergie, l’eau, l’alimentation…, la quantité et diversité d’espèces d’êtres vivants, la superficie de terres arables de qualité, le niveau des océans, mais aussi la quantité de réfugiés climatiques, le nombres de morts liées aux pollutions diverses, la quantité de cyclones, d’inondations, de sécheresses, de canicules…
L’observation de ces seuils nous indique clairement que de nombreuses activités et industries ne sont absolument pas compatibles avec le projet de ne pas les dépasser. Nous devons donc les réguler, et tenter de changer notre relation aux ressources que nous utilisons. Si nous ne les voyons plus comme un stock disponible mais comme un partenaire capable de nous assurer une qualité de vie, alors nous aurons à cœur de les préserver.
Maîtriser nos consommations
L’épidémie du COVID 19 est un véritable choc qui doit servir de tremplin à la transition écologique, sans quoi l’économie repartira de plus belle, et nous serions capables d’accélérer encore plus fort pour dégringoler de toujours plus haut. Le bouillon sera sévère.
Le confinement met le doigt sur nos besoins vitaux, et c’est sur ces activités que nous devons nous concentrer. Le temps passé a des activités non essentielles et/ou polluantes doit être libéré, afin de le consacrer à l’alimentation, la santé, l’habitat, l’énergie, l’éducation, etc. tout en préservant un cadre culturel et de loisirs convenable.
Le seul moyen de concilier ces enjeux avec celui de la liberté individuelle est la répartition équitables de « droits » à polluer. En partant des seuils à ne pas atteindre, et pas de la quantité que l’on peut réduire par nos actions.
L’encadrement, pour être équitable, ne pourra être autrement qu’en étant relativement strict. On pourrait imaginer une carte carbone par exemple, qui limiterait chaque personne physique et morale dans ses activités, en excluant les besoins vitaux, bien entendu. Ainsi, les consommations d’énergie diminueront, la liberté individuelle étant affectée de manière égale et répartie.
On pourrait imaginer également, dans la phase de transition, une énergie qui serait très fortement taxée lorsqu’elle n’est pas destinée à un besoin essentiel, ce qui permettrait de financer cette transition de manière beaucoup plus rapide et efficace.
Et donc ?
Les idées ne manquent pas, mais elles sont, et encore plus en cette période épidémique, reléguées au second plan par la classe politique pour laisser la place aux priorités économiques plus urgentes. Ce qui laisse présager le pire : une injection monétaire massive permettant de sauver nos industries et nos emplois. Alors qu’une transition écologique et sociale pourrait donner à tout le monde un emploi, utile à sa communauté, en répartissant équitablement les richesses, et en repensant le travail.
La société civile pourrait bien cependant nous laisser présager le meilleur, car chaque crise touche son lot de citoyens prenant conscience de l’urgence d’agir. La crise du Covid-19 touche le monde entier dans une expérience bouleversante, absolument déroutante et remplie d’enseignements dont nous ne faisons qu’explorer les prémices.
Si en théorie le Covid-19 touche l’ensemble de la population, l’impact n’est pas le même suivant la catégorie sociale à laquelle nous appartenons. Par exemple, le taux de mortalité n’est pas le même suivant les catégories sociales. De la même façon, les mesures de protection ne sont pas les mêmes suivant les catégories. Certains sont obligés de travailler au contact direct du virus car ils n’ont pas le choix. « Les premières lignes et les secondes lignes » déconsidérées hier appelées à nous sauver aujourd’hui. Tandis que d’autres catégories sont à l’abri et notamment grâce au recours au télétravail. Il suffit de voir ce qui se passe en Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France pour s’en persuader. Le taux de mortalité y est le plus fort en France, avec une masse de travailleurs précaires effectuant les « petits » boulots, qui aujourd’hui nous sauvent la vie et démontrent que leur utilité sociale est indispensable.
https://www.sudouest.fr/2020/04/03/covid-19-comment-expliquer-la-mortalite-exceptionnelle-en-seine-saint-denis-7385631-10618.php
Nous voyons le même phénomène en Angleterre où dans les quartiers défavorisés, le taux de mortalité est deux fois plus important que la moyenne nationale. Nous pourrions regarder cela à travers le monde, nous y verrions le même phénomène.
Donc le Covid-19 révèle en premier lieu, les contradictions de classe au sein de notre société. En matière de protection face au virus, il est à l’image des inégalités, bases du développement du capitalisme qu’il soit régulé ou ultra-libéral.
Les mesures de confinement provoquent un effondrement économique. La moitié des salariés sont au chômage partiel, c’est-à-dire que l’État vient en aide aux entreprises dans l’obligation de réduire leur activité. Une partie de la population s’appauvrit. Les chômeurs ayant un versement de leurs indemnités faibles ne sont pas dans la capacité de retrouver un emploi. Des familles précaires ne bénéficient plus des aides pour les cantines du fait des fermetures des écoles et voient leurs budgets alimentation augmenter, des exemples comme cela nous pourrions en faire une longue liste. Bref c’est un désastre social pour la partie de la population la plus pauvre tandis que d’autres rêvent à un monde d’AMAP de bio et de local car leurs pouvoirs d’achat leur permettent de se dégager des questions de subsistances.
Toutes les mesures mises en place ont un coût. Le niveau d’endettement de l’État explose et c’est le salariat qui devra en supporter les conséquences économiques. Le gouvernement est pris en étaux entre les travailleurs et le patronat qui exigera des mesures d’assouplissement sur tous les plans, code du travail et environnementale par exemple. Sur ce dernier plan, le MEDEF les demande déjà. Le salariat qui subissait déjà les mesures d’austérité ne pourra plus supporter d’autres mesures d’austérité supplémentaires pour remettre la situation économique et les finances publiques sur pied. Pourtant cela semble inévitable, qui va payer ? Voilà la première question qu’il faut se poser.
Le système capitaliste repose sur une société divisée en classes sociales inégales. Les propriétaires des moyens de production et d’échange communément appelés capitalistes et les travailleurs, eux-mêmes divisés en plusieurs catégories et que les capitalistes tentent à chaque instant de diviser. Le pouvoir politique est tributaire du pouvoir économique. En dernière analyse, il agit toujours dans l’intérêt de ce dernier. Le pouvoir économique est le véritable pouvoir. S’attaquer à lui revient à s’attaquer aux deux.
Effectivement la crise que nous subissons a eu au moins le mérite de soulever une réflexion collective sur le monde dans lequel nous vivons et celui que nous voulons pour demain. Il s’agit là de la deuxième question : quel est le monde d’aujourd’hui et quel est celui que nous voulons pour demain ?
Penser qu’il est possible de réguler le capitalisme par différentes mesures comme des taxations, des normes environnementales drastiques etc… est illusoire. Il relève du charlatanisme pour ceux qui prétendent faire cohabiter capitalisme, environnement et croissance verte. Le capitalisme repose sur des entreprises privées, qui produisent indépendamment des unes des autres et qui se font concurrence sur un marché de plus en féroce à mesure que l’économie se contracte. Elles sont obligées d’augmenter sans cesse leur productivité, piller les ressources de la planète, dégrader considérablement l’environnement, détruire les espaces naturels etc… Chaque mesure prise par un gouvernement national qui vient entraver la production affaiblit la compétitivité de l’entreprise. D’une part elle se retrouverait en situation défavorable face à ses concurrents. Cela engendrerait une fuite de ses investisseurs, car quel capitaliste voudrait investir dans une entreprise menacée de pertes. D’autre part si de telles mesures étaient appliquées, elles engendreraient des mesures de rétorsion par ces mêmes capitalistes : fuites des capitaux, délocalisation, grève d’investissement, chantage à l’emploi. Cela engendrerait une forte dégradation sociale. Il n’y a rien de nouveau dans ceci. L’histoire regorge d’exemple en la matière. Ce fut le cas du gouvernement Mitterrand qui dans la première année a mis en place un programme de progrès social sans remettre en cause le pouvoir économique des capitalistes. Ces derniers ont vite saboté l’économie et engendré une forte dégradation sociale (augmentation considérable du chômage), obligeant le gouvernement à faire marche arrière. Aujourd’hui, il faut ajouter à cette équation le problème environnemental qui se pose à l’humanité tout entière. Le monde d’avant et le monde d’après ne peuvent se résumer aux gazouillis des oiseaux. Elle doit tenir compte de cette réalité sociale et économique.
Quant au problème de la consommation, il est intimement lié au régime économique. Sous le capitalisme, l’emploi dépend de la consommation. Nous sommes arrivés à un tel niveau de productivité que la surproduction est devenue inéluctable. La crise économique soi-disant issue de la pandémie, que les mandarins du capital aiment à répéter en boucle, est la combinaison d’une situation au préalable de surproduction camouflée par le crédit et la brusque baisse de l’activité et de la demande sous l’impact du confinement. Il y avait déjà avant le Covid-19 des perspectives économiques sombres, elles sont encore pires aujourd’hui. Le recours au crédit est la solution poison incontournable pour maintenir la consommation, donc la production et garantir l’emploi et stabilité sociale. Voilà le couteau sous la gorge que nous impose le système.
Effectivement une nouvelle organisation de la société est indispensable. Le retour à la petite propriété, n’en déplaise à ceux qui la défendent, demeure capitaliste soumise à la rentabilité et aux lois intrinsèques du capitalisme. C’est comme vouloir faire tourner la roue de l’histoire à l’envers. Le capitalisme moderne s’est développé sur la base de la petite propriété. La nouvelle organisation doit reposer sur une rupture totale avec l’ancien monde. Elle doit se baser sur une planification de l’économie, c’est-à-dire débarrassée du marché « libre ». Maintenir un secteur privé dans les domaines clés et stratégiques de l’économie est incompatible avec une production basée sur les besoins réels de l’humanité en ayant une gestion rationnelle des ressources et en préservant nos espaces. Mais pas seulement, il faut réparer les dégâts environnementaux qui ont d’ores et déjà des conséquences tragiques pour une part importante de la population. La planification implique inéluctablement l’expropriation des capitalistes au moins dans les secteurs jugés comme indispensables au besoin essentiel et remettre ces secteurs dans le secteur public et sous le contrôle démocratique des travailleurs. C’est uniquement de cette manière que nous pourrons réorienter notre mode de production vers une économie qui prend en compte l’aspect durable de notre environnement, que ce soit dans le secteur industriel ou agricole. La production et la responsabilité collective à grande échelle sont notre prochaine grande étape.